Soirée découverte.

Les moulins de la Dronne, deux témoignages.

A l’initiative du groupe Ribéracois du CDD Périgord Vert, ce café-citoyen de rentrée, co-organisé avec le Café Pluche, a permis d’accueillir deux propriétaires de moulins, invités à partager avec l’assistance leur histoire et leur passion : Sylvie Bérardi du Moulin de Salles (commune de Tocane-Saint-Apre) et Alain Duchez du Moulin d’Epeluche.

Cette rencontre précède d’un mois la journée découverte sur les moulins que le CDD organise le 5 octobre 2024, en partenariat avec l’APAM, Association périgourdine des amis des moulins.

Sylvie Bérardi évoque tout d’abord son père, meunier et poète, qui a fait tourner le moulin à plein régime jusqu’en 1962. Son activité sera prolongée de quelques années, essentiellement pour la production de farines animales, avant de tomber dans l’oubli. Une première réhabilitation initiée par sa fille Sylvie permettra de redémarrer une activité d’huile de noix, avant d’être abandonnée. Après la mort de son père, en 2015, Sylvie reprend le moulin et entreprend d’importants travaux en 2021. Son projet est de faire tourner à nouveau le moulin, avec ses deux roues à aubes et ses quatre double-meules, ce qui demandera du temps, des financements et beaucoup de ténacité. En 2022, a été créée l’Association des amis du moulin de Salles, qui a notamment permis d’obtenir le label Fondation du Patrimoine, d’en recevoir une subvention et d’organiser une collecte de fonds défiscalisés, auxquels se sont ajoutées des subventions des deux communes de Tocane et Montagrier. En tout 25 000 €, qui ont permis d’entamer les travaux…

La retenue qui permet une chute d’eau d’1,10m, devenue propriété de la commune de Montagrier, présente des brèches, préjudiciables au moulin. Le Syndicat de Rivières du Bassin de la Dronne (que nous avions invité lors d’un café-citoyen en avril 2024) conduit une étude financée par l’Agence de l’Eau Garonne-Adour sur la continuité écologique du moulin de Salles. Rappelons que la Dronne est classée en zone Natura 2000. Cette étude prévoit notamment des passes à poissons, investissement lourd, mais pas de réparer les brèches. Le débat est ouvert. Ces passes sont-elles nécessaires ? La faible hauteur de la retenue les justifie-t-elle ?  Les poissons que l’on pêchait dans la Dronne (truites, lamproies, brochets…) n’ont-ils pas quasiment disparu, non du fait des moulins mais plutôt de l’eutrophisation des cours d’eau, liée à l’activité agricole ?

La règlementation qui s’applique aux moulins relève de deux ministères celui de la transition écologique et celui de la culture, ce qui ne simplifie pas l’avancement des projets.

Sans attendre la reprise d’activité meunière qui demandera un important travail de remise en état de tout l’appareillage du moulin, celui-ci revit déjà avec des visites, quelques concerts… et sa propriétaire a à cœur de l’ancrer dans la vie du village.

Tout autre est le récit que nous livre Alain Duchez, minotier à la retraite depuis peu et propriétaire du moulin d’Epeluche. Son entreprise de minoterie vient d’être cédée à un de ses salariés, son ancien directeur, dans le cadre d’une RES (reprise d’entreprise par un ou des salariés).

A partir de cartes postales de différentes époques depuis 1900, Alain Duchez nous présente les évolutions architecturales et techniques qu’a connues le moulin.

Il s’agit au départ d’un moulin à 2 roues à aube, alimentant les meules à farine et le pressoir à huile de noix.

Son père a installé les appareils à cylindre métallique, qui ont remplacer les meules, sauf une conservée pour des farines particulières. On est ainsi passé de la meunerie à la minoterie. Le procédé repose sur différentes étapes qui se déclinent verticalement, du haut en bas, par gravité.

Alain rejoint son père en 1980. Il va progressivement développer l’activité, l’entreprise passant de six à une vingtaine de salariés, dont plusieurs commerciaux démonstrateurs. Dans le même temps, la production croît de 750 kg/h à 2,3t/h. La distribution journalière est assurée dans un rayon de 150 km par deux camions. La minoterie fonctionne en 2×8.

Parmi les risques importants, celui des poussières en suspension qu’une simple étincelle peut faire exploser, d’où l’importance attachée au confinement des opérations.

En 1980, la force motrice du courant entraînait deux turbines et un jeu de poulies pour faire tourner meules et cylindres. Aujourd’hui les turbines sont équipées de moteurs électriques (asynchrones), qui produisent une part de la puissance électrique nécessaire (70 kW sur un total de 230kW). Le moulin fonctionne entièrement à l’électricité avec une part d’auto-consommation de l’hydro-électricité produite sur place. Exemple d’usage industriel d’une énergie renouvelable.

La hauteur de chute est de 2,20m. S’il y a trop d’eau, on ne turbine pas, s’il n’y en pas assez –période d’étiage-, on ne turbine pas non plus.

Alain Duchez déplore les excès de ceux qui, il y a quelques années, ont souhaité supprimer les « chaussées » des moulins. Il semble que l’on porte aujourd’hui un discours plus nuancé, reconnaissant même le rôle positif de ces retenues qui permettent de réguler le débit des rivières, et qui ne sont pas systématiquement un obstacle à la remontée des poissons !

Un participant, bon connaisseur de la Dronne, en tant que plongeur et kayakeur, signale le Mémento juridique de la Fédération française de Canoë-Kayak qui précise les droits et devoirs du propriétaire de la chaussée ou retenue et du kayakeur. Il évoque la raréfaction des espèces de poissons de la Dronne, la disparition des herbiers, lieux recherchés de reproduction, liés selon lui aux pesticides.

Sylvie et Alain répondent ensuit aux questions de l’assistance.

Tout au long de cette soirée, ils ont témoigné de leur attachement à leur moulin, patrimoine plus familial et culturel pour Sylvie, plus économique et industriel pour Alain, avec un même attachement à la rivière vivante qu’ils connaissent en profondeur et une volonté de dialoguer avec l’ensemble des parties prenantes.

Débat animé par Jean-Luc Pujols

Article rédigé par Paul Brejon