Un « café citoyen » consacré à l’alcoolisme
Le 12ème café citoyen, organisé conjointement par
le CDD Périgord Vert et le Café Pluche, a réuni environ 25 participants, le
vendredi 1er septembre 2023. Jean-Luc Pujols, organisateur et
animateur de cet évènement avait convié trois intervenants : Isabelle
Roberty, œnologue et formatrice à la MFR de Vanxains, très impliquée sur la
prévention, et deux « alcooliques abstinents », selon leur propres
termes, Pierre et Sophie. Une addictologue du Centre hospitalier de Vauclair
n’a pu se rendre présente.
C’est tout d’abord Isabelle qui nous dresse un panorama
historique du lien très fort entre le Vin et les Français. Nos premiers
contacts avec le Vin remonte à la Gaule envahie par l’Empire romain, dans les
premiers siècles de notre ère. La consommation de vin est chez les romains un
élément de réussite sociale. Les envahisseurs venus du Nord contribueront à
l’essor du vin. Le christianisme en fera un symbole fort, associé à la culture
de la vigne par de nombreuses congrégations religieuses. De la Renaissance à la
fin de l’Ancien Régime, aristocrates et membres du haut-clergé possèdent leur
propre vigne. Les vignobles se
développent alors en France et un puissant négoce du Vin se met en place. Au
début du XXème siècle, le phylloxera (puceron venu d’Amérique du Nord) va
détruire la majorité du vignoble français qui sera ensuite replanté à partir de
nos colonies d’Afrique du Nord.
Depuis le début de la révolution industrielle, se développe
un discours positif sur le Vin, qui rend fort, qui est bon pour la santé, et
notamment pour l’ouvrier, le soldat, le paysan, le mineur…qui ont besoin de
force. En parallèle du Vin, on assiste depuis quelques dizaines d’années au
développement de la consommation de la Bière.
Les usages évoluent, et si la consommation moyenne de Vin
est en France de 130 litres par an et par habitant en 1975, elle « n’est
plus que » de 40 litres en 2022. Entre temps le titre en alcool moyen a dû
passer de 8/9° à 12/13°.
Mais le coût social de l’alcool et des excès de sa
consommation alerte les Pouvoirs Publics qui vont lancer des campagnes grand
public d’appel à la modération, en s’appuyant notamment sur la loi EVIN, du nom
de son instigateur, ministre de la santé d’un gouvernement Rocard, loi relative
à la lutte contre l’alcoolisme (et le tabagisme) qui règlemente la publicité de
l’alcool (et du tabac).
500 000 personnes travaillent en France dans le domaine
du Vin.
Pour limiter l’effet des campagnes appelant à la modération
de la consommation, un puissant lobby en faveur du Vin
s’organise, sous l’égide de « Vin et Société », selon qui « 97%
des français consomment du vin raisonnablement ».
Les producteurs de Vin et plus largement d’alcool n’ont pas
à supporter son coût social (contrairement au tabac), et les taxes sur vin,
bière et cidre sont très faibles.
Le Chiffre d’affaires de la viticulture s’élèverait entre 15
et 20 milliards d’euros, auxquels on peut ajouter celui des spiritueux (4,4) et
de la Bière (2,5).
On est très loin du coût social de l’alcool estimé à 115
milliards d’euros (selon le Haut Conseil à la Santé publique) !
Après ce panorama qui suscite un fort intérêt des
participants, la parole est donnée à Pierre puis Sophie, qui vont l’un et
l’autre, avec pudeur et sincérité, nous faire partager leur parcours.
Témoignages poignants.
Tout d’abord Pierre. Tout commence à l’adolescence avec
l’alcool festif, d’abord les samedis soirs, dans un contexte familial favorable,
jusqu’au jour où Pierre s’aperçoit qu’il commence à boire seul, puis en
cachette, puis qu’il contrôle de moins en moins sa consommation, qu’il boit dès
le matin. Jusqu’au jour où…il s’effondre après avoir touché le fond, frôlé la
mort. C’est le déclic, le sursaut, ce qu’il appelle un réflexe vital. Volonté
de passer à l’abstinence. C’est difficile. Seul, on ne peut pas.
Désintoxication, aide d’addictologue, participation à un groupe de parole type
Alcoolique anonyme (AA). Pour Pierre l’alcoolisme est une maladie, dont on ne
guérit jamais complètement, et de conclure « je ne suis pas responsable de
mon alcoolisme, mais je suis responsable de mon abstinence ». Pierre est
biologiste de formation, et il enseigne aujourd’hui en lycée les sciences de la
vie et de la terre. Il poursuit avec d’autres ce combat et c’est le sens du
témoignage très fort qu’il nous livre. Merci Pierre !
Vient ensuite Sophie. Issue d’un milieu aisé, bourgeois,
elle évoque tout d’abord une adolescence heureuse. Mais elle est hyper-émotive,
et découvre assez tôt que le fait de boire l’aide à faire face. Etudes
supérieures, puis carrière à l’étranger, réussite professionnelle… mais elle
garde une sensibilité à fleur de peau et la consommation de vin l’aide. Séparée
de son mari, elle travaille à New-York, au siège des Nations-Unies. Gros job,
gros salaire, mais toujours l’aide du vin, de bons vins, des vins chers,
consommés souvent seule. Elle est ne laisse rien paraître, mais organise sa
journée en fonction du verre qu’elle pourra boire. Gueule de bois le matin,
dépendance, déni, mensonges, consultation d’une psy…jusqu’au jour où le
déclic se produit. Le problème c’est l’alcool, une méthode radicale s’impose,
ce sera une cure de désintoxication de 30 jours. Mais on fait comment en
sortant, alors que l’alcool est omniprésent dans la société ? Elle fera 2
mois supplémentaires et trouvera l’aide précieuse des groupes AA très présents
aux US. Sophie trouve l’accompagnement post-cure très limité en France. Ne pas
rester seule ! Aujourd’hui, Sophie vit en Charente où elle restaure une
maison, tout en restant mobilisée sur cette maladie sournoise. Merci
Sophie !
De nombreuses questions de l’assistance et autant de
témoignages de proches d’alcooliques qui poseront notamment la question « Que
faire face à un proche alcoolique ? ». Réponse unanime, hélas pas grand-chose, les
discours moralisateurs ne servent à rien, si ce n’est « le détachement
avec amour », formule qui à la fois nous surprend et nous interroge…
Propos retranscrits par Paul Brejon